Illustration : Mona Bru
Pire que prévu. Les changements climatiques pourraient être 50 % plus intenses d’ici 2100 selon une récente étude réalisée par une équipe du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), de Météo France et du Centre européen de recherche. Alors que 2023 a été l’année la plus chaude jamais enregistrée, est-il encore possible de monter sur un échafaudage pendant les canicules ?
Baisse de la vigilance et des performances cognitives. « Normalement, on ne devrait pas travailler à plus de 34 degrés », explique Christian Morel, médecin référent BTP au Pôle Santé travail de Lille. Sous le soleil brûlant, les ouvriers sont exposés à la chaleur pendant des heures. Les impacts sur la santé sont majoritairement cardiovasculaires. À court terme, la déshydratation provoque des crampes, des vertiges, une baisse de la vigilance qui, in fine, augmente le risque d’accident. « La chaleur met le cœur en souffrance », rappelle le médecin. À long terme, elle peut déclencher « des problèmes d’insuffisance cardiaque, des AVC, ou des infarctus ».
Le ministère du Travail recommande aux entreprises des mesures en cas de fortes chaleurs, comme la mise à disposition quotidienne d’au moins trois litres d’eau par personne, l’aménagement des horaires de travail, ou des locaux pour se protéger. Si le Code du travail prévoit bien une série de dispositions, la plupart restent imprécises et à l’appréciation de l’employeur. Ce dernier est appelé à prendre des « mesures nécessaires » pour protéger la santé des travailleurs et travailleuses en extérieur (Article L.4124-1). Entre recommandations et réalités du terrain, l’écart est parfois conséquent.
Des écarts de moyens entre les entreprises
Petites entreprises et grands groupes du secteur n’ont pas les mêmes budgets à allouer à la protection de leurs travailleurs et travailleuses. Baptiste, charpentier dans la région de Montpellier, explique : « C’est comme comparer les moyens d’une petite quincaillerie et d’Amazon. Alors tu t’adaptes, tu fais autrement. » C’est souvent le cas des petites entreprises du secteur. « On a été obligé de payer les bouteilles d’eau sur nos fonds propres pendant l’été », expliquent les patrons d’Adisa Maçonnerie, petite entreprise basée dans l’Orne.
La plupart des entreprises ont recours également au décalage des horaires en été. Commencer plus tôt, entre 5 et 6 heures et terminer à 13 heures, pour éviter de rester trop longtemps sous la chaleur. Une solution qui a ses limites. « La majorité de nos chantiers sont en ville. Mais en centre-ville on ne peut pas décaler les horaires et commencer à 5 heures, c’est trop de nuisances pour les riverains », détaille Jean-Luc Pecqueux, délégué syndical CGT du groupe Vinci à Roubaix. Si cela se fait souvent en bonne intelligence entre direction et travailleurs, le syndicaliste estime que « quand on arrive à décaler les horaires, c’est parce que l’union fait la force, quand tous les gars disent stop. Ça vient rarement du patron. »
Des congés en cas d’alerte canicule ?
Jean-Luc Pecqueux plaide pour une règle qui créerait des congés pour tout le secteur en cas de pic rouge canicule. Le gouvernement espagnol a déjà franchi le pas en mai dernier en annonçant l’interdiction de travailler à l’extérieur pendant les périodes de canicule.
En France, des épisodes de neige, de vent ou de verglas ouvrent le droit à des « congés intempéries » qui indemnisent les salariés contraints de rester chez eux. À ce jour, la canicule n’est pas juridiquement considérée comme une intempérie. La décision d’arrêt de travail pendant les fortes chaleurs est négociée au sein de l’entreprise.
En pratique, « 90 % des entreprises du BTP en France, ne travaillent pas au mois d’août. Les usines qui nous fournissent sont à l’arrêt », explique-t-on chez Adisa Maçonnerie. Mais les changements climatiques provoquent déjà de plus en plus de vagues de chaleur dans l’année. « On réduit la cadence. Mais il n’y a pas de véritable protection contre la chaleur. On s’adapte », précise Quentin Dupuy, maçon chez Venier Bâtiment dans le Gard. Pour le moment, les ouvriers sont « un peu débrouillards sur le terrain mais il ne faut pas que la canicule dure deux mois non plus », rappelle-t-il.
« Il faut institutionnaliser les pauses »
Afin de réduire les risques, « il faut institutionnaliser les pauses », affirme Christian Morel, médecin du travail. Aujourd’hui, le code du travail prévoit une pause de vingt minutes consécutives dès que le temps de travail quotidien atteint six heures. « C’est ridicule pour des postes physiques comme dans le secteur du BTP », déplore-t-il.
Pour éviter l’improvisation, la solution serait-elle de légiférer ? Interrogée à l’occasion d’un déplacement dans le Nord, Catherine Vautrin, ministre du Travail, de la santé et des solidarités, ne s’est pas encore penchée sur le sujet. Un dossier brûlant : le secteur du bâtiment est le plus touché par les accidents graves. « Oui, le bâtiment est un métier à risque mais le côté humain c’est qu’on s’entraide, qu’on se protège », assure Quentin Dupuy. Parmi les profils les plus touchés par les accidents mortels dans le bâtiment : les intérimaires, les jeunes et les travailleurs et travailleuses proches de la retraite.
Avec le récent report de l’âge de départ en retraite à 64 ans, beaucoup devront monter sur les échafaudages plus longtemps. « La chaleur fait vieillir », image Christian Morel. Il ajoute : « On se doit d’intégrer la dimension de l’âge et d’appliquer une certaine prévention à l’usure professionnelle. » La thermorégulation, capacité de l’organisme à maintenir une température stable, « se fait moins bien aux âges extrêmes de la vie donc chez les enfants et les personnes âgées ».
Des risques aggravés par les changements climatiques
Dans une étude de 2018, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) estime que la hausse des températures et la modification de la fréquence des aléas climatiques vont accentuer les risques professionnels. Le secteur du bâtiment s’adapte au cas par cas, sans réelle anticipation des futures conditions de travail. « La loi pourrait être plus coercitive mais les mesures, à mon sens, existent déjà. Reste à les appliquer sur le terrain », conclut le médecin du travail. Autre solution : imiter la loi espagnole et arrêter les activités en extérieur en période de canicule. Pour Christian Morel, « cette loi viendra un jour ou l’autre ».