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Protéger les dernières tourbières actives des Hauts-de-France

Simon Kekenbosch est chargé de mission Natura 2000 sur le territoire du Parc naturel régional de la Scarpe-Escaut. Ce dernier abrite un milieu fragile et unique : les tourbières, des zones humides caractérisées par le fait que la matière organique s’y dégrade très lentement. Sous la pression des activités humaines, menacées par le dérèglement climatique, leur destruction libérerait de fortes quantités de carbone.

Qu’est ce que le réseau Natura 2000 ?

Natura 2000, c’est le plus grand réseau au monde d’aires naturelles protégées. J’agis sur le territoire du Parc naturel régional Scarpe-Escaut. En binôme avec une collègue, on anime ce réseau pour concilier les usages humains avec la préservation des habitats et des espèces qui habitent ces espaces.

©Lucie Morère et Eric Glon


Concilier usages humains et préservation des environnements, ça passe par quelles actions sur le terrain ?

Mon rôle est d’accompagner les personnes porteuses de projets. Qu’il s’agisse de quelqu’un qui veut construire une maison, faire une manifestation sportive, ou construire une usine, il faut toujours produire un document, une évaluation des incidences au titre de Natura 2000. Ça évalue si oui ou non le projet va impacter négativement les espèces et les habitats qu’on cherche à préserver.

Simon Kekenbosch est chargé de mission Natura 2000 et veille à la préservation des écosystèmes du Parc naturel régional de la Scarpe-Escaut. ©d.delecourt

Vous êtes originaire d’Île-de-France, même là vous avez vu la nature impactée par les changements qu’on vit aujourd’hui ?

Je dirais même, peut-être plus en Île-de-France qu’ailleurs. La nature est face à une densité de population très forte, avec un étalement urbain qui est de plus en plus important. Les espaces naturels sont morcelés, prostrés et séparés les uns des autres. À Paris comme dans le Nord, il y a une double pression. Celle du dérèglement climatique, globale, et celle des activités humaines, locale. On est sur des territoires où la nature est vraiment en danger. C’est pourquoi, à côté de nos missions de suivi scientifique et de sensibilisation, on doit aussi aller chercher de l’argent pour restaurer des habitats qui ne sont plus à même d’accueillir la biodiversité qu’on cherche à protéger.

Ça ressemble à quoi de restaurer un écosystème ?

Ça peut être un petit chantier, comme creuser une mare au fond d’une parcelle agricole pour y accueillir des amphibiens et des plantes. Ça peut être aussi des travaux de très grande ampleur, pour restaurer une des tourbières qu’on a sur notre territoire par exemple. Donc ça peut aller de quelques milliers d’euros à plusieurs dizaines de milliers.

« Ne plus préserver les tourbières, c’est participer d’autant plus au réchauffement climatique. »

Quelle importance ont les tourbières ?

Une tourbière, c’est une zone humide qui reste humide toute l’année. Comme elle est toujours saturée en eau, la matière organique ne va pas se décomposer, ou plutôt très très lentement. Elle ne se minéralise pas, ne se dégrade pas et garde son dioxyde de carbone. C’est pour ça qu’on dit que les tourbières sont des grands puits de carbone, qui se stocke dans ses sols. Et quand on arrête de saturer les tourbières en eau, la tourbe se minéralise et le carbone est rejeté dans l’environnement. C’est un cercle vicieux. Ne plus préserver les tourbières, c’est participer d’autant plus au réchauffement climatique.

Le parc abrite des écosystèmes en péril : les tourbières. Ici, celle du Vred. ©d.delecourt

Les tourbières de la Scarpe-Escaut sont-elles menacées ?

Oui, tout à fait. En Scarpe-Escaut, on a les deux dernières tourbières alcalines actives de la région, et elles sont déjà en train de se minéraliser. On considère qu’on ne peut pas revenir en arrière sur ces espaces-là. À terme, elles vont finir par s’assécher aussi. Si on se retrouve avec cinq ans de sécheresse très forte d’affilée, on sait qu’on va perdre les tourbières définitivement. Avec toute la biodiversité qui va avec.

La grenouille des champs, espèce en danger critique d’extinction en France, peuple les tourbières du parc. ©PNRSE001

Au-delà du carbone relâché, quelles seront les autres conséquences de la perte de ces tourbières ?

Les tourbières sont des milieux qui sont saturés en eau et les matières organiques ne se dégradent pas. On a donc très peu « d’engrais ». Vont alors s’y développer des plantes spécifiques aux tourbières, et avec elles des animaux spécifiques à ces plantes. Sur le territoire du Parc naturel régional Scarpe-Escaut, on a notamment deux des cinq populations françaises de grenouilles des champs, qui sont d’ailleurs en très grand danger. Dans le Nord, on a quasiment plus d’individus de cette espèce. Elles se cantonnent dans les quelques tourbières qui sont préservées. On sait qu’à terme, si ces populations cessent de communiquer entre elles, elles sont condamnées parce que de la consanguinité va se développer. On a de très gros enjeux. Des espèces protégées régionalement, nationalement et à l’échelle européenne qui vivent sur ces tourbières et qui, en cas d’assèchement de celles-ci, viendraient à disparaître.