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Pour Arnaud Venturi, « Les pompiers sont en première ligne face aux bouleversements climatiques de demain »

Avec le changement climatique, les feux de forêt s’intensifient et s’inscrivent dans la durée. Face à ce phénomène, les sapeurs-pompiers doivent s’adapter, pour mieux protéger l’environnement et les populations.

La sécheresse des sols, la violence des vents et le réchauffement des températures entraînent une aggravation des feux de forêt, en durée comme en intensité. Épaulés par les révolutions technologiques, les sapeurs-pompiers et pompières doivent alors innover et changer leurs pratiques pour lutter efficacement contre ces nouveaux feux.

L’Hérault illustre bien ce phénomène à l’œuvre. Territoire partagé entre littoral et massifs montagneux, les sapeurs-pompiers du département ont le terrain de jeu idéal pour tester leurs innovations. Premiers témoins des modifications des feux de forêt, les pompiers de l’Hérault sont aussi les premiers à s’organiser pour lutter contre ces changements. 

Interview d’Arnaud Venturi, chef du groupement des feux de forêt et des risques naturels, au sein du Service départemental d’incendie et de secours de l’Hérault. 

Depuis combien d’années constatez-vous une modification, voire une aggravation de la nature des feux ?

Ici, depuis cinq ou six ans, les feux de forêt durent toute l’année. Dès février ou mars, il suffit qu’il y ait un peu de vent pour faire face à un feu aussi puissant que ceux de l’été. Il ne pleut pas, les températures sont en hausse et il n’y a plus d’agriculture capable d’entretenir les espaces non-boisés. Tout cela a pour conséquence deux choses : une sécheresse propice aux feux et une absence de réserves en eau pour éteindre ces derniers. C’est la raison pour laquelle les pompiers de l’Hérault réfléchissent depuis déjà une quarantaine d’années à s’adapter au changement climatique.

Au sein du service départemental, vous êtes parmi les premiers en France à avoir créé un groupement des feux de forêts et des risques naturels. Quel est son rôle ?

Le groupe a été créé par notre directeur il y a quatre ans. Nous sommes chargés de comprendre le changement climatique, d’apporter une expertise, afin de mettre en œuvre une réponse adaptée pour lutter contre les feux de forêt. Et notre action a fait ses preuves : nous avons une meilleure maîtrise des sujets, une réponse plus rapide et une meilleure adaptation aux attentes du territoires. 

Notre force, en plus de l’anticipation, c’est aussi une couverture départementale territorialisée. 72 centres de secours sont répartis sur le département, soit des casernes implantées sur tous les territoires à risques. Elles sont prêtes à agir contre les feux.

Quels nouveaux dispositifs et équipements technologiques vous permettent et vous permettront de lutter plus efficacement contre les feux ?

D’abord, nous avons mis en place une expertise des risques météorologiques des feux de forêt (vents, sécheresse des végétaux) en coopération avec Météo-France. Selon le résultat, un dispositif opérationnel sera mis en place pour le lendemain, pour être préparé au risque. Ce mécanisme a été créé ici, dans le sud.

De nouveaux camions et véhicules satellitaires ont également été créés. Ils permettent d’avoir de l’imagerie au plus près de l’action. Pareil pour les drones, qui agissent au niveau des foyers principaux, pour vérifier que les feux soient bien éteints. Nous sommes aussi équipés en caméras infrarouges, en hélicoptères et des caméras « feux de forêts » sont directement implantées dans les zones touchées. Certaines caméras vont même être améliorées, avec une détection automatique des feux via une intelligence artificielle. 

Côté technologie, des tablettes GPS, des robots qui amènent les tuyaux et permettent de préserver le personnel sont aussi en développement. Toutes ces innovations s’inscrivent dans le désir d’anticiper les prochaines années de lutte contre les feux.

Dans l’aire méditerranéenne, le nombre de jours au cours desquels l’Indice-Forêt-Météo correspondrait à un niveau de danger « Sévère » devrait passer d’un mois et demi aujourd’hui à trois mois dès 2055. 

Quelle adaptation cela va-t-il entraîner en termes d’effectifs ?

Il va falloir mobiliser plus de pompiers, car si le risque est multiplié par deux ou par trois, la réponse doit aussi être multipliée.

Vous en avez les moyens ?

Vu l’évolution des effectifs, j’en doute fortement. C’est pourquoi il faut travailler sur l’avant crise. Faire de la prévention, protéger les forêts, relancer l’agriculture et planter des essences d’arbres résistantes. Nous mettons en place une grosse formation des maires : beaucoup, dans des petites communes rurales, n’ont pas d’expérience ni de connaissance des risques. Nous nous chargeons donc de les former à ces risques.

On travaille également en coopération avec les gardes forestiers, comme l’Office national des forêts, pour prévenir les risques naturels. On essaie de maintenir ce grand réseau d’acteurs et d’actrices pour les conseiller et qu’ils nous impliquent dans toutes leurs décisions.

Avez-vous déjà imaginé l’éventualité de ne plus avoir d’eau pour éteindre les feux, dans un territoire où de nombreuses communes sont de plus en plus privées d’eau potable tout au long de l’année ?

Bien sûr. C’est même une de nos principales inquiétudes. Ici, on anticipe que dans dix ans, il n’y aura plus d’eau. Aujourd’hui, nous éteignons les feux avec de l’eau potable. Ce n’est évidemment pas viable. Nous sommes donc en train de créer des réserves stratégiques d’eau brute, notamment celle des fleuves. Mais que se passera-t-il quand il n’y aura même plus d’eau dans les fleuves ? Ça je l’ignore encore.

Comment appréhendez-vous l’avenir face au changement climatique ?

La crise à venir nécessite une prise de conscience des politiques et une plus grande ambition de leur part. En tant que père, je stresse pour mes enfants quand je pense à l’avenir. Mais pas pour mon métier. La clé, c’est de savoir s’adapter. Nous, on sera prêts.

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