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Agriculture : Lactation continue, races rustiques… 4 méthodes qui s’écartent des techniques conventionnelles

En quête de sens, certains citadins prennent un tournant à 180 degrés et quittent tout pour devenir agriculteurs ou agricultrices. Leur credo : produire en respectant les animaux et les écosystèmes, ce qui est aux antipodes de l’agriculture conventionnelle basée sur les monocultures et l’élevage intensif.

Des légumes asiatiques en Normandie

Expatriée de Chine, Kaiping Li regrettait de ne pas trouver de légumes asiatiques bio et locaux. Une brèche qu’elle voulait combler. Malheureuse dans sa vie d’informaticienne, la trentenaire a enchaîné les stages dans des fermes maraîchères biologiques en Seine-et-Marne. C’est au cours d’un de ses stages qu’elle s’essaye à la culture de semences asiatiques. Un succès et une fierté, les clients étaient enchantés : « C’est trop bon à manger, on ne connaissait pas ces légumes merci ! ».  Son idée était viable, il ne lui restait plus qu’à trouver des terres. « Je n’aurais jamais cru que ça allait être aussi dur ! »

Kaiping dépose des dossiers de candidatures en Ile-de-France, attend des mois pour finalement essuyer un refus. La quarantaine approche, mais la ténacité ne la quitte pas et la future maraîchère élargit son périmètre de recherche. Pari payant : en 2021, elle s’installe en Normandie. Depuis, l’ex-informaticienne cultive ses légumes allochtones et fidélise sa clientèle. Sur son étal, on trouve des légumes certes ordinaires comme l’ail ou les choux chinois, mais récoltés à un stade plus précoce. « Ce qui change totalement le goût ». Il y a aussi des variétés inhabituelles, comme la courge Kabocha, dont le goût rappelle la châtaigne.

La lactation continue : moins de naissances mais toujours autant de fromage

Comme tout mammifère, pour produire du lait, une chèvre doit mettre bas. En agriculture conventionnelle, après neuf mois de lactation, l’éleveur ne traite plus l’animal : c’est le tarissement. La chèvre ne produit plus de lait, il faut qu’elle donne naissance à nouveau pour en reproduire. Ce qui n’est pas sans conséquence pour sa santé : « Mettre bas tous les ans, ça les fatigue », affirme Aline de Bast, néo-éleveuse de chèvres laitières à Barjon, près de Dijon. En revanche, en lactation continue, la chèvre est traitée tant qu’elle n’est pas réformée : le cycle mise bas – lactation – reproduction avec le bouc – tarissement est rompu.

Lactation continue : rompre le cycle des naissances pour faire du fromages. INFOGRAPHIE CHARLOTTE LEDUC

Aline a toujours eu à cœur d’améliorer les conditions de vie de ses chèvres. Elle a testé sur quelques chèvres la lactation longue. Désormais, après son troisième cabri, la chèvre n’est pas tarie et elle continue à produire du lait jusqu’à ce qu’elle soit réformée. L’éleveuse-fromagère a du lait toute l’année. Un avantage du point de vue économique et organisationnel, puisqu’elle n’a pas de creux dans sa production, ni de pic de travail lors de l’agnelage des chèvres. En revanche, elle doit traire tous les jours, jours fériés compris. Depuis qu’elle a mis en place la lactation continue, elle a diminué par trois le nombre de cabris qui naissent par an. Et Aline peut prendre le temps de trouver des familles où ces chevreaux seront bichonnés.

Retourner à des races rustiques pour produire une viande d’exception

Voulant fournir un produit exceptionnel, Noémie Calais a choisi d’élever des porcs gascons dans le Gers. Cette race a failli disparaître dans les années 80 car elle n’était pas assez rentable, en raison d’un nombre limité de porcelets et d’une durée de croissance de 12 mois avant abattage. Or dans ces années-là, la filière porcine s’est industrialisée : les porcs sont élevés hors-sol, dopés aux antibiotiques, sans aucune diversité génétique. Les truies les plus productives sont sélectionnées : elles ont en moyenne 14 petits par portée, mais ce chiffre peut grimper jusqu’à 20.

En s’installant comme éleveuse, Noémie ne voulait surtout pas répliquer ce modèle, tant pour les animaux que pour les humains et les écosystèmes. Elle s’est ainsi donnée pour mission de faire redécouvrir aux consommateurs le goût d’une viande exceptionnelle, beaucoup plus grasse et persillée. C’est pourquoi elle défend la race des porcs gascons.

Les cochons roses, une race dopée pour l’agro-industrie avec une croissance deux fois plus rapide et avec deux fois plus de petits par portée. INFOGRAPHIE CHARLOTTE LEDUC

Quand les chevaux remplacent les tracteurs

Faire du maraîchage sans énergies fossiles, une idée saugrenue ? Pas tellement, si on remonte dans l’histoire agricole. Les anciens paysans utilisaient des chevaux ou des bœufs pour travailler la terre. À l’époque, les fermes étaient à taille humaine et multi-activités : des animaux pour le fumier, des cultures pour l’alimentation animale et humaine, du bois pour le chauffage… « C’est ça, l’agriculture paysanne », affirme Thomas Peyre du GAEC des Sabots Communs. Partageant cette philosophie, il s’est lancé avec Marie Peltier dans l’agriculture à Bourbourg dans le Nord.

Non seulement ces néo-paysans et néo-paysannes font du maraîchage, mais il font aussi de l’élevage et de la transformation des céréales en pain, le tout sans utiliser d’hydrocarbures. Ils refusent d’utiliser des tracteurs :  « On veut être en accord avec nos convictions. S’il fallait qu’on fasse du maraîchage en brûlant des énergies fossiles, très clairement on ne le ferait pas ». Le travail avec des animaux donne une toute autre dimension :  « Les chevaux sont nos collègues. Il faut composer avec eux ! » Outre l’affranchissement du pétrole, la traction a de vrais intérêts agronomiques : par exemple, comme il n’y a pas les vibrations des roues, le sol est moins compacté en surface. Les outils favorisent le travail en surface avec un labour à 12 cm contre 35 à 40 cm de profondeur avec un tracteur. Bien sûr, ce modèle agricole induit des sacrifices : « Il faut toujours être présent avec les animaux, prendre le temps de les former et puis bricoler nos propres outils. »