Certaines mairies françaises, parmi lesquelles Saint-Ouen et Arras ont mis en place un congé menstruel. Illustration : Mona Bru
« On nous dit qu’avoir ses règles, ce n’est pas la fin du monde. Mais allez-y les hommes, prenez notre place ! » Depuis treize ans, Valérie est femme de ménage près de Nancy. Du lundi au vendredi, elle lustre, savonne, cire, époussette, astique, fait briller. Un métier « formidable » mais qui « abîme le corps ». « On est toujours debout, toujours en mouvement. Et puis, il y a la fatigue des trajets. Aujourd’hui j’ai ma petite voiture. Mais pendant dix ans, j’ai pris les transports en commun », détaille-t-elle d’un léger soupir.
Jamais ses règles ne l’ont clouée au lit, mais la quinquagénaire estime qu’il est « indispensable » que « celles qui souffrent » puissent bénéficier d’un congé menstruel. « Pendant le Covid, on s’est rendu compte qu’on avait besoin de petites mains. Maintenant, il est temps qu’on écoute les femmes. Le congé menstruel va dans ce sens. »
Contrairement à d’autres corps de métiers, les personnes menstruées embauchées dans des secteurs dits essentiels n’ont pas la possibilité de télétravailler et d’ainsi vivre leurs règles dans un environnement plus confortable. À moins de poser un congé, elles n’ont pas d’autre choix que de venir sur site.
Deux propositions de loi
L’année dernière, les parlementaires se sont emparés de la question. Deux textes, portés par les députés écologistes et socialistes, ont été déposés en mai 2023. Le but : instaurer un congé menstruel de treize jours par an. Celui-ci prendrait la forme d’un arrêt maladie pour menstruations incapacitantes, soumis à un certificat médical et intégralement remboursé par la sécurité sociale.
Les deux propositions ont été renvoyées pour être examinées par la Commission des affaires sociales. Un nouveau texte déposé par les députés socialistes le 16 janvier propose, lui aussi, la mise en place d’un arrêt maladie de treize jours par an.
« Prendre un congé menstruel ne fait pas de moi une mauvaise encadrante. »
Du côté du Sénat, le dispositif est également discuté. Un rapport sénatorial déposé le 27 juin 2023, intitulé « Santé des femmes au travail : des maux invisibles », a conclu que les quatre rapporteures n’étaient pas parvenues à un consensus concernant « l’opportunité d’instaurer un “congé menstruel” au sens large, sur le modèle espagnol par exemple ».
Les sénatrices Laurence Cohen (Parti communiste), Annick Jacquemet (Union centriste) et Marie-Pierre Richer (LR) ont estimé que « l’instauration d’un dispositif large pour “règles douloureuses” ne se justifie pas si une pathologie invalidante n’y est pas associée ». Pour ce genre de pathologies, elles préconisent ainsi « une réelle prise en charge thérapeutique plutôt que la mise en place d’un “congé” ». La quatrième sénatrice, Laurence Rossignol (PS), considère quant à elle que « ce congé, dans des limites qui seraient définies par la loi, répond à un enjeu global de visibilisation des femmes au travail et d’égalité professionnelle ».
Une mesure déjà mis en place dans certaines entreprises
Cependant, certaines entreprises et collectivités n’ont pas attendu que la mesure soit inscrite dans le Code du travail pour l’appliquer. À la municipalité de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), les agentes ont la possibilité de prendre deux jours d’arrêt par mois, sur justificatif médical et sans retenue de salaire, depuis le 27 mars 2023.
Après Saint-Ouen, plusieurs villes ont décidé de permettre aux personnes menstruées souffrant de règles incapacitantes
Atteinte d’endométriose sévère, Thanina Ould Younes, directrice développement et attractivité à la mairie, raconte : « J’ai mis dix ans à me faire diagnostiquer. Quand j’avais mes règles, je prenais des jours de congé parce que j’étais par terre, incapable de travailler. Aujourd’hui, prendre un congé menstruel ne fait pas de moi une mauvaise encadrante. Je le dis à toutes les femmes de mon équipe, il faut que ça devienne banal ».
Depuis le mois de décembre 2023, les employées de la mairie d’Arras (Pas-de-Calais) souffrant de règles incapacitantes peuvent également bénéficier de dix jours d’autorisations d’absence rémunérées, à condition de présenter un avis favorable du médecin.
Le congé seul est insuffisant
Pour Sandra Gallissot, avocate et experte en droit des ressources humaines, il faut néanmoins veiller à ce que le congé menstruel ne soit pas qu’une histoire de « marque employeur », afin que « les salariés ne soient pas des objets de marketing ». Juridiquement, le dispositif est pour elle « envisageable ». « On pourrait très bien avoir un congé menstruel sans délai de carence [délai avant que le salarié puisse percevoir des indemnités durant un arrêt maladie, ndlr] avec une simplification administrative pour sa mise en œuvre », dépeint l’avocate.
Pour que la mesure soit efficace, Aline Boeuf, sociologue et autrice du livre paru cet automne Briser le tabou des règles, préconise « d’imaginer un pack ». « Le congé menstruel seul n’est pas suffisant, il doit être accompagné de solutions logistiques, comme des toilettes propres partout ou des mesures de sensibilisation, par exemple. Pour que ça marche, il faut absolument commencer par éduquer les gens sur les menstruations. »