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Isère : après la fermeture de la station de ski, cette épicerie veut redonner vie À son village

Après la fermeture de la station de ski fin 2018, les touristes ont déserté la petite commune de Château-Bernard, en Isère. Depuis son ouverture en octobre 2023, l’Épi 4 Saisons, une épicerie associative et participative propose à ses adhérents des produits locaux et soucieux de l’environnement avec l’ambition de se réapproprier la montagne.

Thi Mai (au milieu) termine sa permanence avant de récupérer son panier. Photo : Anaëlle Petot

Les prix sont écrits à la main sur des morceaux de papier. Huit euros les 500 grammes de miel de montagne, moitié moins pour le kilo de poires. Ce mercredi 17 janvier en début de soirée, les clients restants jettent un dernier coup d’œil à leur panier avant de quitter le local de l’Épi 4 Saisons. La petite épicerie est perchée sur le Col de l’Arzelier, dans les hauteurs de Château-Bernard, en Isère.

19 heures. Thi Mai Fumex pose sa cagette de fruits pour fermer la salle. Installée avec sa famille dans le village depuis 4 ans elle mûrissait son projet depuis le Covid-19. Avec son amie Claire Georges, elles ont lancé ce projet d’épicerie participative via leur association Montagnes Alternatives en octobre dernier.  « On n’a rien autour de nous et on voulait une épicerie qui appartienne et qui parle à nos habitants. On a cherché une solution pour s’alimenter sainement et en s’entraidant », relate-t-elle.

Se réapproprier la montagne

Plus haut dans le Vercors, les remontées mécaniques ne tournent pas malgré la neige. La station de ski à proximité a définitivement fermé en 2018. Depuis, la plupart des touristes ont déserté Château-Bernard. Cette baisse de fréquentation a contraint la seule épicerie du coin à mettre la clé sous la porte pendant la pandémie de Covid-19, faute d’attirer les habitants du col. « Avant, l’épicerie était touristique et pratiquait des tarifs indécents. Les gens ne jouaient pas le jeu » se souvient Thi Mai. Aujourd’hui, c’est son collectif de 25 membres qui garnit les étagères de l’ancienne boutique, mise à leur disposition par la mairie.

La majorité des produits proposés sont issus d’agriculture biologique, l’Épi 4 Saisons privilégie les aliments frais ou non périssables. Crédit : Anaëlle Petot

Savons de Saint-Guillaume, pain d’épices de Saint-Paul-Lès-Monestier… presque tous les articles, à l’exception de conserves et sachets conditionnés en usine, sont produits à quelques kilomètres, une demande des locaux. Pour proposer une solution adaptée aux 270 Chapelous, une enquête a été lancée durant l’été pour identifier leurs besoins. Parmi les 53 réponses obtenues plus de 95% des sondés insistent sur la nécessité de consommer local. « Aujourd’hui, on travaille avec les producteurs qui sont sur notre chemin. Le Covid a rebattu les cartes si on veut. Ça permet de se réapproprier la montagne » se félicite la cofondatrice de l’Épi 4 Saison. 

Un commerce de proximité au modèle participatif

Le verglas rend les routes du col difficilement praticables en hiver. « Mais le vrai problème pour s’alimenter en montagne c’est le temps. Les trajets sont beaucoup plus longs. » déplore Claire Georges. Le supermarché le plus proche est à Vif, en banlieue de Grenoble, à 30 min en voiture de Château-Bernard. « Quand on a des enfants et qu’il faut descendre une à deux fois par semaine c’est un vrai problème » observe la quadragénaire. Pour offrir un commerce de proximité malgré ces contraintes, Thi Mai et Claire ont reçu le soutien du plan « reconquête du commerce rural » du gouvernement.

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Lancé en 2023, ce programme permet à des commerces isolés qui souhaitent se réinventer ou sortir de terre de se développer. « On pense l’investir pour développer la vente en vrac, mais on a aussi pour projet de développer un café associatif justement pour créer des liens. On voudrait en faire un petit point de rendez-vous » espère Claire.

Elles se sont également inspirées du modèle de l’épicerie participative imaginé par le réseau Monépi, qui développe des initiatives économiques sociales et solidaires. «. Il n’y a pas d’employé donc pas de salaire à payer. Ce sont les adhésions qui couvrent les charges donc on a pas besoin de faire de marge comme c’est une épicerie non-lucrative. Mais pour l’instant, on est ouvert qu’une heure par semaine. », détaille Thi Mai derrière l’ordinateur qui fait office de caisse. Michel Scremin, adhérent avec sa femme depuis octobre, entame sa permanence.

Crédit : Anaëlle Petot

Ici, pas de code barre. Les consommateurs récupèrent leur panier après avoir passé commande sur une plateforme. Des membres du collectif se relaient sur un logiciel de comptabilité pour s’assurer que tout le monde reparte avec ses produits. « On doit dédier une heure et demie par mois à l’association. C’est souvent de la permanence à l’épicerie mais on peut aussi aller chercher ce qu’il faut chez les producteurs, précise Michel. L’objectif c’est de créer du lien entre les différents hameaux éparpillés. Ça dépasse le simple magasin ».

« Reprendre une vie de village »

Pour Claire, qui s’est installée à Château Bernard il y a un an, l’Épi 4 Saisons est une première étape pour « reprendre une vie de village » : « Avec l’épicerie, les gens se rencontrent alors qu’ils vivent dans la même commune. Ça permet de commencer quelque chose ». Reste que seule une vingtaine de familles s’investit aujourd’hui auprès de l’association qui a besoin de bras et de ressources pour remplir les étagères. Les membres de Montagnes Alternatives le savent : « une épicerie classique en situation rurale serait jugée non rentable ou devra proposer des produits très chers afin d’avoir une marge correcte » indique l’association sur son site.

Le collectif tente justement de proposer plus de produits à des prix abordables. « On ne propose que des produits de qualité et c’est plus ou moins les mêmes prix qu’en supermarché. On aimerait bien se tourner vers des grossistes pour que ce soit plus intéressant mais il faut que la commande soit suffisamment importante pour cela » , explique Claire.

 Reste que les locaux ne sont pas tous au fait de cette initiative dans l’Arzelier. La secrétaire de mairie de Saint-Guillaume, qui habite Château-Bernard, évoque « un manque de communication évident ». Thi Mai et Claire en sont conscientes, mais, pour elles, s’occuper d’un commerce en zone rurale ne rime pas tant avec rentabilité qu’avec adaptation, « si on n’est plus que trois à acheter, on s’approvisionnera pour trois, quitte à abandonner le local et à faire ça dans notre garage. À la montagne on est comme ça, on se bouge pour trouver des solutions ».