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Robocop ou gadget : les travailleuses et travailleurs du futur ont-ils un exosquelette ?

Les travailleurs et travailleuses essentiels de la deuxième ligne sont particulièrement touchés par les troubles musculo-squelettiques (TMS). Les exosquelettes sont présentés comme l’avenir face aux souffrances au travail.

Après la traite des vaches, place au nettoyage des bassines qui ont servi pour la récolte des algues. Géry Meausoone, agriculteur dans le Nord de la France, souffre d’une hernie discale depuis plusieurs années. Entre la gestion de ses vaches laitières, des veaux mais aussi de la culture de spiruline, le travail manuel et le port de charges lourdes font partie de son quotidien. Pour soulager ses douleurs, l’agriculteur utilise un exosquelette.

En 2021, Gery devient l’un des tout premiers agriculteurs à posséder un exosquelette pour le bas du dos. De tout juste 30 bénéficiaires cette année-là, ils sont aujourd’hui plus de 200 à porter cette ceinture lombaire renforcée en France. Il en existe beaucoup d’autres, avec moteur ou non, pour la main ou encore le cou. 

88 % des maladies professionnelles sont des TMS

L’objectif affiché des exosquelettes : réduire les troubles musculo-squelettiques (TMS), des maladies qui touchent les articulations, muscles et tendons. Aujourd’hui, en France, les TMS représentent 88 % des maladies professionnelles, d’après Santé publique France. Mais ces troubles ne viennent pas uniquement de la charge physique. Ils sont multifactoriels. « Il y a aussi la répétition, les gestes rapides et précis, ainsi que la charge mentale du travail qui est liée à cette attention soutenue, au stress », explique Aurélie Landry, enseignante-chercheuse en ergonomie à l’Université de Grenoble et spécialisée dans la prévention des TMS. Pour lutter contre ces troubles, l’exosquelette est présenté comme une solution dans de nombreux secteurs d’activité, en particulier la logistique et l’agroalimentaire.

Pour Géry, qui a subi au total deux opérations du dos, la principale limite au développement de ce nouvel outil, c’est son coût. Pour son exosquelette Japet, il faut normalement débourser 7 000 €. Lui, a eu accès à des aides grâce à sa reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé. « J’ai dû payer seulement 1 200 €. Je n’aurais jamais mis 7 000 € », confie-t-il.

« L’exosquelette allège mon boulot, mais ça ne remplacera jamais un dos »

Mais ce problème pourrait avoir tendance à disparaître selon Denys Denis, professeur en ergonomie à l’Université de Montréal. Pour lui, « d’ici une dizaine d’années, le développement sera plus important avec des coûts plus bas et une technologie qui va évoluer »

Une étude de l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), indique que les exosquelettes testés « peuvent induire une réduction du niveau de sollicitation des muscles assistés ». Pour autant, l’exosquelette ne peut soulager qu’une zone ciblée. Les études se multiplient sur le sujet, mais restent bien souvent des analyses à court terme. Pour Xavier Rey, vice-président de Kiné France prévention, « aujourd’hui, on quitte un peu les études de laboratoire pour aller vers des études de terrain et de longue durée ».

À l’heure actuelle, de nombreux problèmes sont mis en évidence et pourraient freiner le développement de cette technologie. L’INRS alerte notamment sur une augmentation des sollicitations cardiovasculaires, due au poids de l’exosquelette, à une hausse du stress ou voire aux risques de collision. Pour l’agriculteur, porter l’exosquelette en été est inconfortable à cause de la chaleur et de la transpiration.

L’adaptation est aussi une étape importante dans l’acquisition de cette ceinture 2.0. « J’ai mis du temps à m’habituer, je ne peux plus faire les mêmes gestes qu’avant », explique Géry. La seule « vraie » solution pour lui est de muscler son dos. « L’exosquelette allège mon boulot et améliore mes conditions de travail, mais ça ne remplacera jamais un dos », déplore l’agriculteur.

Face à l’aide que peut apporter cet outil, Géry dit compenser le poids des charges avec les muscles du haut du dos lorsqu’il porte des sacs de 25 kg. « Si l’exosquelette s’occupe d’une partie du travail à fournir, une autre partie du corps va compenser et sera à son tour surchargée », explique le kinésithérapeute Xavier Rey. 

Robocop ou pas ? 

« Je vais pas commencer à accumuler les exosquelettes et ressembler à Robocop pour travailler » s’exaspère l’exploitant agricole. « Personne ne va se transformer en Robocop, on ne rend pas la personne plus forte mais on vient juste compenser des choses qui compliquent son travail », rappelle l’ergonome Denys Denis.

Si la volonté initiale est de répondre à un besoin, « le marché est très concurrentiel, les chiffres d’affaires potentiels sur les exosquelettes se comptent en milliards », assure Xavier Rey. Un problème commercial pour le kinésithérapeute, puisque ce sont les marchands et marchandes d’exosquelettes qui présentent cet outil comme un équipement miracle.

Si l’exosquelette est présenté comme une innovation de grande envergure par certains vendeurs, pour Xavier Rey « c’est un excellent outil mais ce n’est pas une solution ». C’est aussi ce que défend Marie Terrier, fondatrice d’Arwen Prevention, entreprise de vente d’exosquelettes, avec la mise en place d’ « un parcours d’intégration et d’adaptation à l’exosquelette dans les entreprises. Il ne faut pas l’imposer, ça doit venir d’une base de volontaires ».

Autre limite : les employeurs et employeuses risquent d’utiliser l’exosquelette dans une logique de produire plus au lieu de soulager les TMS. « Il y a aussi le risque qu’on se dise qu’on puisse pousser la cadence alors que c’est plutôt l’inverse qu’il faudrait faire », assure Aurélie Landry.
Pour se généraliser, les exosquelettes devront également s’adapter à tous les corps. « Il s’agit d’un univers très masculin et certains modèles peuvent être difficilement portés par des corps féminins à forte poitrine », conclut Denis Denys.