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« Tout le monde aura toujours besoin d’un toit », pourtant le métier de couvreur n’attire plus

Le métier de couvreur s’impose, malgré lui, comme le deuxième secteur en tension en France. Pénibilité, formation exigeante, concurrence… la couverture de toit n’attire plus, malgré les chantiers qui ne manquent pas. Dans le Finistère, les ardoisiers s’interrogent sur l’avenir de la profession.

L’équipe de couvreurs rénovent le toit du chœur de l’église de Saint-Thégonnec dans le Finistère, classée monument historique. Le chantier doit se terminer cet été. Crédit : Dorian David

En levant la tête, un blanc éblouissant tranche avec le bleu du ciel et l’ombre de l’ardoise. Pour une fois, ce n’est pas un nuage. Au sommet des six échafaudages, le toit du chœur de l’église de Saint-Thégonnec, dans le Finistère, est bâché. Trois hommes s’activent. « Ce serait bien que des jeunes viennent » lance Pierre, 23 ans, le benjamin de l’équipe de couvreurs. Les entreprises du secteur peinent à recruter. Selon les chiffres de France Travail de 2023, la couverture est la deuxième profession la plus en tension en France : 87 % des postes ne trouvent pas de candidat. 

« Cette plaque, pose-la en biais et tu peux la tailler plus fine ». Hervé Coadou, le patron de l’entreprise familiale Coadou Couverture, donne des conseils à Vincent, accroupi et penché sur ses calculs écrits sur la charpente. Vincent est tombé dans le métier depuis près de 20 ans, un peu « par hasard » après un bac scientifique. Il se redresse et frappe l’ardoise sur son enclume. Les coups de marteaux ponctuent les cris des corneilles qui nichent dans le clocher. Entre deux coupes, il confesse : « Notre savoir-faire, il se transmet depuis des siècles. Encore faut-il qu’il y ait des jeunes à qui l’apprendre ».

« Parfois je me couche en même temps que les gosses. A 21 heures je suis au lit » raconte Vincent en riant. Technique et exigeant, le métier marque les corps.
Chaque plaque d’ardoise est piquetée et marquée à la main avec le marteau avant d’être retaillée. Pour les emplacements des clous, c’est la même chose.

Une main d’œuvre aspirée par les secteurs concurrents

Certains entrepreneurs comme Hervé, attaché à sa Bretagne natale, font le choix de s’orienter vers la rénovation de monuments historiques, moins rentable et dépendante des chantiers publics. De surcroît, l’augmentation du prix des matériaux est un frein pour les particuliers. Refaire une toiture de 100m² en ardoise naturelle coûte en moyenne 15 000€ et aucune aide publique ne permet de diminuer cet investissement. Pour un tel prix, « les familles préfèrent nous revendre l’ardoise plutôt que de faire les rénovations et choisissent un autre matériau moins cher » souffle Gwenole, le frère du patron.

La couverture souffre d’un manque de financement, donc de rémunération. « Il faudrait faire du velux ou de l’isolation thermique pour vendre notre travail plus cher, alors que si tout s’effondre et tout s’écroule, on aura toujours besoin d’un toit » ajoute-t-il, désabusé. 

Le marteau de Vincent a 20 ans. Particulièrement attaché et fier de son outil, il l’a fait graver de ses initiales et l’utilise sur tous ses chantiers.
Ouvriers opérants « le plus haut », les couvreurs sont les seuls à intervenir sur les toits. Par tradition, ils fêtent l’Ascension, reprenant la symbolique de la montée du Christ vers le ciel.

En parallèle, la conjoncture propulse d’autres sociétés qui aspirent une main d’œuvre qualifiée. Lancé en 2020, le dispositif public « MaPrimerénov’ », qui permet aux particuliers de toucher une aide pour isoler leur propriété, favorise les entreprises spécialisées dans l’isolation thermique. Les couvreurs et couvreuses certifiées « RGE » (Reconnu Garant de l’Environnement) isolent les toitures par des travaux importants et techniques (accumulation de couches, pose de laine de verre…). Les ouvriers et ouvrières de l’isolation thermique trouent simplement le placo au plafond et y projettent de la cellulose (un matériau isolant) avant d’en contrôler la concentration pour l’étanchéité. Aucun savoir-faire spécifique n’est nécessaire si ce n’est une courte formation aux outils de mesure. 

Jean, jeune marié de 28 ans, a récemment choisi de quitter Coadou Couverture pour rejoindre une entreprise spécialisée dans l’isolation thermique. « Le métier n’est pas intéressant, intellectuellement c’est très pauvre. Parfois les chantiers paraissent éloignés des besoins réels des habitations, mais ça paye mieux et le travail est moins dur », témoigne l’ancien couvreur, attristé.

S’orienter vers un métier pénible?

Les cloches de l’église sonnent à 16 heures. Dans un métier où « il faut près de 10 ans de pratique pour être bon », Pierre peine à se projeter malgré sa passion. « J’ai rarement vu un couvreur qui a plus de 50 ans hormis les patrons, et je n’ai pas envie de finir en béquille ou en fauteuil, même si j’adore ce que je fais », confie le jeune ouvrier en frappant sur un clou.

La semaine dernière, il posait une plaque d’ardoise d’1m20 de large et haute de 60cm, à genoux. « On va tous chez l’ostéo, mais on n’a pas le choix. À l’atelier, un collègue coupe l’ardoise avec une petite attelle au poignet », raconte Gwenole. Pourtant, le métier de couvreur n’est pas reconnu comme « pénible » selon la loi française. En contrepartie, les ardoisiers reçoivent une certaine fierté et un bureau hors du commun.  « C’est ça qu’on aime, être dehors, sur les toits, faire quelque chose de nos mains qui soit utile. Et c’est beau ! » précise Gwenole en regardant ses mains, noircies et écorchées par le travail.

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