Dans la banlieue de Cologne, Thèrèse Lorsheid prépare quotidiennement des repas chauds pour les personnes âgées dans le besoin.
Les brötchen, petits pains incontournables des petits-déjeuners allemands, trônent au milieu d’assiettes de jambon, fromage, concombres et autres viennoiseries. Ce matin, il y en a pour tous les goûts, et assez de nourriture pour que chacun mange à sa faim. Dans un local d’une quarantaine de mètres carrés aux murs tapissés de drapeaux et maillots du FC Köln, Thérèse Lorscheid, 64 ans, sert comme tous les matins le petit-déjeuner.
Ils sont une dizaine à partager ce repas, tous âgés de plus de 60 ans. L’ambiance est loin de celle d’une soupe populaire classique. Réunis autour de la table, ils discutent et rigolent, on croirait presque assister à un déjeuner d’amis de longue date. Pourtant, la mission de l’association Gremberger Treff est similaire : permettre aux personnes âgées précaires d’avoir quotidiennement un repas chaud. Et de jour en jour, le nombre de bénéficiaires de l’association augmente, passant d’une quinzaine il y a trois ans à plus de 70 aujourd’hui, « un signe révélateur de la précarisation grandissante des personnes âgées », selon Thérèse Lorscheid, bénévole depuis 2020.
3 millions de personnes âgées précaires
En 2022, 20% des Allemands de plus de 65 ans vivaient sous le seuil de pauvreté, d’après un rapport d’Eurostat, soit plus de 3 millions de personnes. « Au début, les gens ne voulaient pas venir parce qu’ils ne voulaient pas être perçus comme pauvres », raconte Thérèse. Pour les personnes âgées dans le besoin, accepter de l’aide n’est pas forcément facile. « C’est une question de dignité », précise la bénévole.
La précarité des séniors, le député Matthias Birkwald en a fait son combat. Dans sa permanence de Cologne, remplie d’affiches et de drapeaux XXL aux couleurs du parti d’extrême gauche Die Linke, l’élu parle avec émotion. Pour lui, le problème vient des pensions minimales de retraites, insuffisantes. « Les pensions doivent être suffisamment élevées pour que les gens puissent vivre leur vieillesse dans la dignité. Cette situation, estime-t-il, n’est pas conforme à l’article 1 de la loi fondamentale allemande », qui consacre « la dignité de l’être humain ».
Aussi en cause, le report de l’âge légal de départ à la retraite à taux plein. D’ici à 2029, les Allemands devront attendre leurs 67 ans avant de pouvoir en profiter. Dans la lignée des précédents gouvernements, Carsten Linnemann, secrétaire général du parti de centre-droit CDU, soutient l’exonération fiscale des emplois des seniors. Dans une interview au Rheinische Post, il explique : « Nous avons besoin d’incitation pour les retraités qui souhaitent volontairement travailler plus longtemps ». Or, selon le député de gauche Matthias Birkwald, les entreprises sont réticentes à employer des seniors en contrat à durée indéterminée. Face à cette situation, un autre type d’emploi s’est imposé dans cette classe d’âge : les minijobs.
« Un mini job est la solution »
« Vous êtes retraités et votre pension n’est pas suffisante ? Un minijob est la solution » : voici ce qu’on peut lire en gros caractères sur le site internet de Minijob-Zentrale, l’agence allemande spécialisée sur ce type d’emplois. Vendeurs et vendeuses, aides à domicile, caissiers et caissières, agents et agentes d’entretien : les annonces concernent clairement les métiers « essentiels ».
L’onglet « retraité » du site donne toutes les informations nécessaires pour aider les personnes âgées à trouver un travail, et vante les mérites de ces contrats, pourtant précaires. Leur rémunération ne dépasse pas les 538 euros par mois, pour 43,35 heures de travail mensuel maximum, soit tout juste le smic horaire allemand. Pour autant, les cotisations pour l’assurance chômage, l’assurance maladie et la retraite ne sont pas systématiques.
C’est là que s’installe le cercle vicieux : se retrouvant en fin de carrière avec une pension insuffisante pour vivre décemment, de plus en plus de retraités prennent un minijob pour améliorer leur quotidien, minijob qui n’augmentera qu’à la marge leur pension lorsqu’ils cesseront le travail.
Dans le secteur commercial, 1,7 million de minijobs sont occupés par les plus de 60 ans, contre seulement 673 000 pour les 20-25 ans. Parallèlement, la proportion de personnes éligibles à la retraite qui travaillent toujours a doublé en dix ans selon Destatis, l’organisme officiel allemand de la statistique. Parmi eux, 83% occupent des minijobs, d’après le gouvernement.
Remède ou poison ?
Le FDP, parti libéral membre de la coalition gouvernementale, est de son côté plutôt favorable aux minijobs, mais souhaite renforcer leur cadre législatif. Le parti s’est notamment battu pour l’augmentation du salaire de ces travailleurs. « Il est juste d’autoriser davantage de revenus complémentaires pour ceux qui veulent travailler plus », précise un communiqué.
Sauf que, passé un certain âge, la question n’est plus de vouloir travailler mais de pouvoir travailler. À Gremberger Treff, les genoux grincent, les mouvements sont lents. « Moi j’ai 80 ans, c’est impossible de bosser », plaisante une des habitués de l’association, entre deux gorgées de thé.
Montre à l’effigie de Karl Marx au poignet et pins de drapeau rouge au veston, Matthias Birkwald s’inquiète de cette situation : « À 77, 78, 80 ans au plus tard, la plupart des gens ont une capacité de travail tellement réduite qu’ils ne peuvent plus faire ces petits boulots. Le dos ou les hanches ne suivent plus ».
Petites pensions et corps qui ne tient plus, c’est là que se referme le « piège à pauvreté » résume Matthias Birkwald.